Après avoir soigneusement lu le texte de Claude Bernard, le relire et répondre aux questions suivantes :

1) Préciser ce que Claude Bernard entend par fonction glycogénique du foie.

2) Quelle hypothèse Schmidt et Lehmann proposent-ils pour rendre compte de la production de sucre par le foie ?

3) Quelle relation existe-t-il entre le dosage du sucre et le temps écoulé depuis la mort de l'animal ?

4) Quelle est l'idée contradictoire soutenue par Pavy ?

5) Préciser la conception vitaliste.

6) La conception vitaliste est-elle à votre connaissance toujours pertinente aujourd'hui ? Argumenter.

7) Pourquoi Claude Bernard trouve-t-il plus de sucre dans le foie après la mort, que durant la vie de l'animal ?

8) Qu'oppose-t-il à Pavy qui prétend qu'il n'y a pas de sucre dans le foie d'un animal vivant ?

9) Quel argument avance-t-il pour prouver qu'il ne provient pas du sang qui l'imprègne ?

10) Justifier la conclusion de Claude Bernard : " En résumé, nous n'aurons donc pas à nous préoccuper de la vie ou de la mort, mais seulement des conditions physiologiques dans lesquelles le sucre se forme dans l'organisme. Nous savons qu'il peut être accru dans certaines conditions ; il me reste à vous démontrer que sa formation peut être ralentie et arrêtée par d'autres conditions. "

La glycogénie hépatique interprétée par les vitalistes
et considérée comme phénomène cadavérique

Claude Bernard

Revue scientifique, 2e année, Paris, 1873

Les connaissances auxquelles je suis arrivé relativement à la fonction glycogénique du foie, n'ont pas été acquises toutes en même temps, mais par un travail lent et successif. Il en résulte que la découverte de faits nouveau est venue éclairer à plusieurs reprises les idées que je m'étais faites d'abord des phénomènes: les explications provisoires que j'avais fournies ont dû se modifier et se compléter: les interprétations sont devenues plus exactes et plus générales.

Les critiques qui ont essayé de me mettre en contradiction avec moi-même, en opposant les conclusions de mes recherches nouvelles avec les théories provisoires de mes travaux précédents, me paraissent n'avoir pas bien compris les conditions du développement scientifique. Ce qui importe, ce qui est inébranlable, c'est le fait: l'expérimentateur répond de l'exactitude d'un phénomène et précise les circonstances de sa production. Il en fournit une théorie provisoire qui est destinée à subir des amendements successifs, jusqu'à ce que la théorie définitive soit enfin constituée.

Après avoir signalé ce premier fait nouveau, la présence du sucre dans le foie, après avoir montré sa persistance, malgré la variété de l'alimentation et la diversité des espèces animales, j'avais cherché à déterminer les quantités de sucre du foie. J'avais donc fait des analyses.

Les déterminations qui furent essayées pour évaluer la quantité de sucre du foie me donnèrent des résultats que je publiai dans un premier travail. (Voyez ma thèse Nouvelle fonction du foie, etc., thèse de la Faculté des sciences de Paris, 1854.)

Telle fut la première étape de la question glycogénique.

Divers physiologistes cherchèrent ensuite à expliquer cette formation du sucre que J'avais découvert dans le foie en si forte proportion. Schmidt, Lehmann, etc., firent, ainsi que je vous l'ai déjà dit, l'hypothèse que le sucre se produisait dans le foie par suite du dédoublement de certains matériaux du sang qui traverse cet organe. Moi-même je partageai cette manière de voir, I'admettant comme une explication provisoire dont il fallait chercher à donner la démonstration.

La question a bien marché depuis: cependant, dans ce progrès, les faits n'ont pas été contredits: il n'y a eu de changé, comme on va le voir, que leur interprétation et la détermination plus exacte de leurs conditions expérimentales.

En répétant plus tard mes dosages du sucre du foie, je m'aperçus que parfois ces dosages présentaient les plus grandes variations. J'avais été frappé de ce résultat, et je m'assurai qu'il ne tenait cependant à aucune imperfection du procédé d'analyse; qu'il était bien réel.

Je cherchai la loi de ces variations et je m'assurai que la quantité de sucre pour le même foie, était d'autant plus grande que J'opérais plus longtemps après la mort. Il semblait que la production de glycose continuait après que l'animal avait cessé de vivre et que le foie était retiré du corps. Ce fut l'observation de ce fait singulier et imprévu qui me conduisit, comme vous savez, à faire l'expérience du foie lavé, et qui m'amena à une nouvelle constatation, à celle de la matière glycogène dans le tissu hépatique (1).

La découverte de la matière glycogénique fut donc la seconde étape dans la question. Mais ce nouveau fait ne détruisit pas l'ancien, la présence du sucre dans le foie ; il força seulement de l'interpréter autrement. Il fallut dès lors renoncer à expliquer la formation du sucre par le dédoublement direct des éléments du sang qui traverse le tissu hépatique; il fallut corriger les dosages. Ceux-ci effectivement étaient trop forts: on devait en défalquer les quantités formées, après la mort, aux dépens de la matière glycogène. Je donnai en effet toutes ces explications dans un mémoire particulier (2), et je terminai en disant qu'il fallait recommencer tous les dosages du sucre dans le foie, en tenant compte des nouveaux faits que je signalais.

Mais on ne prit pas garde ou plutôt on n'accorda pas d'attention à cette marche naturelle des idées et des faits. Le phénomène de la formation du sucre dans le foie après la mort fut considéré comme une négation de la fonction glycogénique pendant la vie. On soutint que la production du sucre était un phénomène cadavérique. D'où la conclusion que jamais le tissu hépatique ne contient de glycose pendant la vie, mais seulement après la mort.

Ces idées ont été soutenues en particulier par M. Pavy (3) physiologiste anglais qui a commencé ses expériences sur le sucre animal précisément dans mon laboratoire, au Collège de France.

Mais cette théorie de M. Pavy, qui est un reflet des anciennes doctrines vitalistes, est à la fois obscure et inexacte. 1° Elle est obscure, car on ne comprend guère cette transformation cadavérique instantanée dans un organe tout à l'heure vivant. Les phénomènes de décomposition cadavérique sont des phénomènes lents. L'animal ne meurt pas tout d'un coup et dans toutes ses parties. les choses ne se passent pas comme les vitalistes le croyaient autrefois. Ils imaginaient que la force vitale disparaissait brusquement de la scène. et qu'au moment où elle abandonnait ainsi I'organisme, partout la mort faisait place à la vie.

Aujourd'hui, on possède des notions plus justes sur ces sujets: nous n'admettons pas plus la réalité d'une force vitale, que nous n'admettrions celle d'une force mortelle. En acceptant pour des entités réelles toutes les créations logiques de l'esprit, on se trouve entraîné à des exagérations qui font éclater l'absurdité de cette méthode. Y aurait-il donc des fonctions de la mort, fonctions cadavériques et des fonctions de la vie, fonctions vitales?

La vérité est que chaque tissu a ses propriétés particulières, son irritabilité propre, son autonomie. Lorsqu'un animal a été sacrifié, alors que l'on dit de lui qu'il n'est plus qu'un cadavre, il n'est pas vrai que tous ses tissus soient morts, qu'ils cessent brusquement de manifester les phénomènes ordinaires ou qu'ils donnent lieu à des manifestations nouvelles qu'on pourrait appeler cadavériques. Les muscles, par exemple, conservent leur contractilité pendant un temps plus ou moins long: la réaction de leur tissu qui est alcaline pendant la vie, devient acide, cela est vrai. Mais dira-t-on que cette contractilité, cette acidité sont des phénomènes cadavériques? En aucune façon. Seulement l'acide qui se produit pendant que l'animal est en santé est à chaque instant repris par la circulation, et emporté avec le sang qui sort de l'organe. Au contraire, il s'accumule et devient facile manifester lorsque la circulation a cessé.

De même l'apparition du sucre est, d'après toutes les analogies, un phénomène normal. L'accroissement de quantité après la mort est particulièrement dû à l'accumulation de ce produit que le torrent circulatoire n'enlève plus, puisqu'il a cessé. Ce n'est point un fait cadavérique.

Mais quoi qu'il en soit de ces conceptions vitalistes qui sont d'un autre temps, restons dans les faits. M. Pavy a avancé pour soutenir qu'i n'y a de sucre dans le foie qu'après la mort, et que pendant la vie , cette substance n'existe ni dans l'organisme ni dans le foie. En tant que partisan de l'école expérimentale, nous devons juger les théories par leur accord avec les faits d'expérience. Or, celle-ci ne s'accorde pas avec les faits. Elle est, comme nous l'avons dit, inexacte. C'est une erreur de fait que de soutenir qu'il ne se produit pas de sucre dans le foie pendant la vie chez l'homme ou chez l'animal, et que cette substance se rencontre dans l'organisme qu'après la mort. M. Pavy serait ainsi conduit à considérer le malade diabétique comme un cadavre ambulant, conception qui est certainement bizarre.

Les expériences et les opinions de M. Pavy ont été admises par quelques physiologistes, tels que M. Plüger, Ritter, etc. Mais ce sont précisément les expériences qui servent de base à l'opinion de ces auteurs que nous devons maintenant examiner au point de vue pratique et théorique.

M. Pavy admet qu'il n'existe pas de sucre dans le foie d'un animal quand on le surprend dans l'état de vie pleine et entière. Pour cela il enlève aussi rapidement que possible un morceau de foie sur un animal vivant et le jette, comme je l'avais autrefois recommandé, dans l'eau bouillante. On constate alors, dit M. Pavy, que le tissu hépatique est absolument exempt de matière sucrée. Cela n'est pas rigoureusement exact, car si l'on fait cuire le tissu du foie ainsi extrait avec son poids égal de sulfate de soude destiné à crisper les matières albuminoïdes et la matière glycogénique qui pourrait gêner la réaction, on trouve toujours dans le liquide limpide, qu'on obtient, une réduction manifeste du réactif de Fehling. J'ai toujours rencontré du sucre dans le tissu de foie extrait aussi rapidement que possible du corps d'un animal bien portant et en pleine vitalité. Tous les expérimentateurs qui ont examiné ces faits sans idées préconçues sont arrivés au même résultat que moi. Récemment, M. Dalton, professeur de physiologie à New-York (4), a publié sur cette question un travail fait avec beaucoup de soin, et je transcris ici un tableau qui contient les chiffres d'un certain nombre d'expériences.

Sucre contenu dans le tissu du foie extrait instantanément de l'organisme.

Tableau

Ainsi, on trouve en moyenne de 2 à 3 pour 1000 de sucre dans le tissu du foie. C'est un chiffre supérieur et presque double de celui que nous avons trouvé dans le sang. 'Nous avons constaté, en effet, en moyenne 1 1/2 pour 1000 de sucre dans le sang artériel.

Toutefois, nous devons dire que nos expériences nous ont appris que ce sucre trouvé dans le tissu hépatique ne doit pas être dans l'état normal et pendant la vie, attribué au tissu même du foie, mais au sang dont il reste nécessairement imprégné. En effet, nous vous démontrerons dans une des séances prochaines que dans les conditions ordinaires de la circulation hépatique, le sucre n'imprègne pas la cellule hépatique, mais se forme à l'aide de la matière et se dissout dans le sang qui l'emporte à mesure qu'il se produit.

Après la mort, lorsque la circulation est arrêtée dans le foie, il en est autrement; le sucre créé par la transformation de la matière glycogène n'étant plus emporté incessamment par le courant sanguin, et sa formation étant exagérée par la suppression d'influence du système nerveux, se condense et s'accumule dans le, tissu hépatique lui-même. C'est pourquoi, ainsi que je l'ai annoncé eu 1855, lorsque j'ai découvert le mécanisme de la glycogenèse du foie par le moyen de la matière glycogène, ont voit la proportion de matière sucrée augmenter très-rapidement à mesure qu'on s'éloigne du moment de la mort. C'est cette découverte qui m'a amené à dire qu'il fallait reprendre tous les dosages du sucre que j'avais faits antérieurement.

Un de mes anciens élèves et ami, M. le professeur Panum (de Copenhague), a publié des expériences en 1866 qui montrent bien cette accélération croissante de la formation du sucre dans le foie. Il a pris des quantités égales du tissu du foie, à différents moments, depuis l'ouverture du ventre d'un animal, et il a recherché la quantité de décoction du foie qu'il fallait employer pour décolorer la même quantité de réactif bleu ou de liquide cupro-potassique, et il a observé que cette quantité diminuait d'autant plus qu'on s'éloignait davantage du moment où la circulation du foie avait été arrêtée.

Tableau

Le sucre s'était donc élevé en neuf minutes à une quantité quadruple, et après vingt-quatre minutes elle était douze fois plus grande qu'après deux minutes.

M. Dalton a donné dans son travail de 1871 des expériences sur le même sujet. Mais il a de plus dosé la quantité de sucre contenue dans le foie. Voici le tableau d'expériences.

Tableau

Ainsi toutes ces expériences viennent confirmer pleinement ce que j'ai établi en 1855, soit directement, soit par l'épreuve du foie lavé, à savoir qu'il se fait du sucre dans le foie après la mort. Cette expérience n'est donc pas douteuse : mais ce qui est faux et contestable, c'est la conclusion ou l'interprétation de Pavy, Ritter., Robert Mac Donel et des autres auteurs, que le sucre se faisant après la mort ne doit pas se faire pendant la vie, et que la formation du sucre ne doit être considérée que comme un fait cadavérique.

Je ne saurais m'élever avec assez de force contre ces sortes d'opinions vitalistes qui, non-seulement sont en désaccord avec l'expérience, mais qui tendraient à vouloir maintenir entre ce qu'on appelle les phénomènes vitaux et ce qu'on nomme les phénomènes cadavériques une sorte de barrière qui n'existe pas. Soutenir que la formation du sucre dans le foie après la mort est une preuve qu'il ne s'en forme pas pendant la vie, équivaut à prétendre que parce qu'il se forme de l'acide carbonique dans un tissu organique après la mort, ce phénomène n'a pas lieu pendant la vie ; que parce que l'aliment se digère dans l'estomac après la mort ou dans un vase inerte, ce phénomène cadavérique n'existe pas chez l'être vivant. Non, la vie et la mort ne sont pas ainsi définissables physiologiquement et expérimentalement. Ce sont là des illusions de l'esprit dont il faut se dégager ; il n'y a en physiologie que des conditions propres à chaque phénomène qu'il faut exactement déterminer, sans aller se perdre dans des divagations sur la vie, la mort, la santé, la maladie et autres entités de même espèce.

On a dit que la mort ou la tendance à la mort, c'est-à-dire l'état pathologique peut accélérer la formation de sucre dans le foie.

En effet, si l'on blesse la moelle épinière dans un point déterminé, on voit le sucre se former en plus forte proportion dans le foie, dans le sang. et la glycosurie apparaître. Mais si l'on blesse la moelle épinière dans un autre endroit, on verra précisément le fait contraire se produire ; la matière glycogène s'accumulera dans le foie et le sucre diminuera ou disparaîtra même de son tissu et du sang. Je demanderai pourquoi ces deux états pathologiques agissent contradictoirement et en sens inverse. Je ne fais que signaler aujourd'hui ces faits, sur lesquels j'appellerai avec soin votre attention dans une prochaine séance.

L'opinion qui considère la formation du sucre comme un phénomène cadavérique est également en désaccord avec l'expérience. Nous avons prouvé, en effet, que le sucre se produit et se détruit constamment dans le sang, et que le foie est la source qui le fournit incessamment.

Nous avons fait voir que le sang tiré de la veine cave inférieure au niveau du foie est toujours plus riche en sucre que le sang artériel et que tous les autres sangs veineux qui sont plus pauvres eux-mêmes que le sang artériel.

En résumé, nous n'aurons donc pas à nous préoccuper de la vie ou de la mort, mais seulement des conditions physiologiques dans lesquelles le sucre se forme dans l'organisme. Nous savons qu'il peut être accru dans certaines conditions; il me reste à vous démontrer que sa formation peut être ralentie et arrêtée par d'autres conditions.



NOTES

. Voyez Comptes rendus de l\'Académie des sciences, t. XLI, p. 461, 1855.

2. Voyez C.R. de l\'Acad. des sc., t. XLI, p. 469.

3. Voyez Pavy, On the nature and treatment of Diabetes, Londres, 1862.

4. De la formation du sucre dans le foie. New-York, 1871.