01/03/2003 La Recherche
Marc-André Selosse est maître de conférences à l'université Paris VI et chargé d'enseignements à l'ENS de Lyon. Ses travaux de recherche au Muséum national d'histoire naturelle portent sur l'évolution de la symbiose.
ma.selosse@wanadoo.fr

 

Quels ancêtres pour nos cellules ?



Comme celles des animaux et des champignons, nos cellules sont caractérisées par l'existence d'un noyau et d'organites. Par quel processus l'évolution a-t-elle fini par produire ce type de cellules, dont le génome présente une parenté avec les deux grands groupes bactériens connus ? Depuis un quart de siècle, la question ne cesse de rebondir. Plusieurs scénarios sont en concurrence.
À la fin des années soixante-dix, la carte du monde vivant subit de considérables bouleversements. C'en est fini de la séparation « simple » entre procaryotes (ou bactéries au sens large) et eucaryotes (animaux, champignons et végétaux). En 1977, en effet, l'Américain Carl Woese découvre que les procaryotes ne forment pas un seul et même groupe. Pionnier en ce domaine, il analyse la séquence des gènes codant les ARN constitutifs des ribosomes, les usines de synthèse des protéines. Résultat : certaines bactéries sont, de ce point de vue, très différentes des autres [1]. En toute logique, Woese divise donc les procaryotes en deux groupes : les eubactéries (qui comprennent des espèces bien connues comme Escherichia coli, les Listeria ou l'agent de la peste) et les archées (ou archéobactéries). Ces travaux, parfois qualifiés de « révolution woesienne », démontrent certes que le vivant comprend trois grandes lignées : eubactéries, archées et eucaryotes. Mais laquelle apparut en premier ? Un quart de siècle plus tard, cette interrogation généalogique suscite toujours d'intenses polémiques.

En ce domaine, les scientifiques font largement appel au postulat selon lequel les séquences des gènes, en particulier celles qui évoluent lentement, « fossilisent » les parentés entre organismes éloignés. À la fin des années quatre-vingt, les biologistes, suivant en cela Carl Woese, utilisèrent les gènes codant les ARN constitutifs des ribosomes. Les résultats obtenus suggérèrent une forte ressemblance entre les archées et les eucaryotes, et une parenté plus lointaine de ces deux derniers avec les eubactéries. D'où la conclusion qu'archées et eucaryotes seraient issus d'un ancêtre commun, apparu après les eubactéries. Cette idée séduisante fut néanmoins remise en cause dans les années quatre- vingt-dix. S'intéressant à d'autres gènes, Brian Golding et Radhey Gupta, de l'université de l'Ontario, montrèrent que le génome de la cellule eucaryote était mi-archéen, mi-eubactérien [2]. La plupart des gènes impliqués dans le maintien et l'expression du génome (les gènes dits « informationnels », comme ceux qui codent les ARN des ribosomes) suggèrent en effet une parenté entre eucaryotes et archées. En revanche, les gènes codant des protéines impliquées dans le métabolisme ou la perception du milieu (gènes dits « opérationnels ») montrent plutôt une parenté des eucaryotes avec les eubactéries [fig. 1].

Comment expliquer cette double parenté ? En 1991, l'Allemand Wolfram Zillig avait élaboré, sur des bases purement biochimiques, un scénario de fusion entre archée et eubactérie [3]. Seuls les gènes informationnels de l'archée et ceux opérationnels de l'eubactérie auraient été conservés à l'issue de cette fusion, laquelle est un processus purement spéculatif et sans équivalent actuel. En 1998, deux chercheurs français [4] et deux américains [5] ont, eux, suggéré de partir d'une situation écologique connue, le syntrophisme. Il s'agit d'une association symbiotique fréquente en milieu anaérobie, qui permet à une eubactérie et à une archée de vivre en s'entraidant (lire « Usines à méthane », p. 50). Les deux équipes proposent que des fragments d'ADN auraient été progressivement transférés de l'un des partenaires vers l'autre, au sein d'un ancien syntrophisme [fig. 2]. Dans ce cadre, le mélange des gènes archéens et eubactériens aurait donc vu le jour au fil d'une interaction symbiotique, donc de longue durée, entre une archée et une eubactérie. À l'appui d'un tel scénario, on sait que, dans certaines symbioses intracellulaires, des bactéries échangent des gènes avec le génome de la cellule-hôte (lire « Des bactéries dans les cellules », p. 52).

Mais d'autres auteurs évoquent des scénarios radicalement différents. Le Canadien W. Ford Doolittle consi-dère pour sa part que les gènes opérationnels eubactériens ont pu être acquis par l'ancêtre des eucaryotes... à partir de son alimentation [6] ! Imaginons une archée prédatrice – d'un type inconnu à l'heure actuelle – capable d'absorber des eubactéries pour les digérer et s'en nourrir. L'ADN plus ou moins dégradé provenant de ses proies est susceptible de s'intégrer, par accident, à son propre génome. L'archée acquiert donc des gènes eubactériens, et perd éventuellement ses propres gènes s'ils sont redondants. Il en résulte progressivement... un mélange de gènes archéens et eubactériens [fig. 3].

Ces scénarios de symbiose ou de prédation favorisent tous des transferts de gènes entre organismes ayant établi des contacts étroits et durables les uns avec les autres. Mais les séquençages de génomes bactériens effectués ces dernières années ont montré l'importance inattendue de transferts de gènes ne nécessitant pas de contacts permanents entre les bactéries concernées. Prenons l'exemple de l'eubactérie Escherichia coli. Depuis sa divergence d'avec l'espèce voisine Salmonella, il y a cent millions d'années, elle a acquis près de 750 gènes venant d'autres espèces, soit 18 % de son génome actuel [7] ! Fréquents, et surtout peu spécifiques, ces transferts de gènes ont lieu de plusieurs façons chez les bactéries actuelles [8] : échange d'ADN entre bactéries vivantes, directement par l'établissement de ponts cellulaires de l'une à l'autre (c'est la « conjugaison ») ou par le biais de virus (c'est la « transduction ») ; importation d'ADN issu de bactéries mortes (c'est la « transformation »)... De plus, ils peuvent impliquer des procaryotes distants d'un point de vue évolutif [9]. Une eubactérie, Thermotoga maritima, possède un quart de gènes d'origine archéenne, tandis que l'archée Thermoplasma acidophilum possède un quart de gènes d'origine eubactérienne ! Plus que la parenté évolutive, c'est en effet la coexistence écologique des partenaires qui importe.

Dans ce contexte de transferts génétiques massifs, il devient donc difficile de se fier aux gènes pour reconstituer les lignées, puisqu'ils « sautent » parfois d'une lignée évolutive à l'autre. Toutefois, en 1998, une équipe de l'université de Californie, se référant à plus de 300 gènes dans 6 espèces bactériennes différentes, a montré que les gènes informationnels étaient moins sujets aux transferts interspécifiques que les gènes opérationnels [10]. Autrement dit, puisque les gènes informationnels restent « à demeure », ils peuvent indiquer l'identité de la cellule ayant reçu du matériel génétique, et constituent un meilleur outil que les gènes opérationnels pour décrypter l'arbre évolutif. Les gènes informationnels, comme ceux codant les ARN des ribosomes, constituent donc, suivant cette logique, un bon outil. Si l'on s'y réfère, les eucaryotes résulteraient donc bien d'archées ayant reçu des gènes eubactériens.

Encore faut-il être sûr que l'utilisation de certains gènes comme marqueurs de l'évolution ne pose aucun autre problème méthodologique ! Or ce n'est pas le cas... Supposons que, pour établir un tel arbre, les chercheurs prennent comme référence un gène qui évolue plus vite dans une lignée donnée que dans les autres. Au vu de ce seul gène, la lignée en question sera donc très différente des autres. Cela entraînera un placement artificiel du rameau portant cette lignée vers la base de l'arbre, loin des groupes parents. Et ce schéma suggèrera – à tort – que la lignée considérée est apparue très tôt. Partant de ce constat, Patrick Forterre, Hervé Philippe et leurs collaborateurs de l'université d'Orsay ont éliminé de leurs analyses les gènes évoluant rapidement. Ils ont alors abouti à un arbre évolutif où ce sont les eucaryotes qui émergent en premier [11]. Les archées seraient proches des eubactéries, avec lesquelles elles seraient apparues plus tard. Les ressemblances des eucaryotes avec les archées (pour les gènes informationnels) et avec les eubactéries (pour les gènes opérationnels) seraient en fait des vestiges de l'ancêtre commun. Ultérieurement, les archées auraient acquis des gènes opérationnels propres à évolution rapide, incitant à placer ces bactéries à la base de l'arbre du vivant. Symétriquement, les eubactéries auraient, de leur côté, acquis des gènes informationnels propres, eux aussi à évolution rapide, et masquant leur parenté réelle avec les autres groupes.

« Coup de chaud » originel

Cette hypothèse rappelle que l'évolution ne va pas nécessairement dans le sens d'une complexification croissante, comme on a souvent tendance à le penser : le nom même de procaryotes – étymologiquement « avant » (pro) le « noyau » (caryon) – renvoie à l'idée que ceux-ci apparaissent avant les eucaryotes parce qu'ils sont plus simples, en particulier d'un point de vue génétique. Or, l'évolution peut aussi comporter des simplifications ou des régressions... Les procaryotes ont très bien pu avoir un ancêtre plus complexe qu'eux, au moins génétiquement, mais l'inverse n'est pas vrai ! Patrick Forterre propose que la simplification génétique des archées et des eubac- téries, à partir d'un ancêtre probablement plus complexe, ait eu lieu lors du passage dans une niche écologique thermophile [12, 13]. Les eucaryotes modernes, eux, descendraient directement de cet ancêtre par une voie parallèle non simplificatrice.

La chaleur endommage les molécules et sélectionne donc des organismes à cycle rapide, qui se reproduisent avant d'être altérés. C'est le cas des procaryotes, qui se reproduisent rapidement et dont les gènes s'expriment par le biais d'ARN messagers à durée de vie plus courte que les ARN messagers eucaryotes. Même la forme de l'ADN des procaryotes est en faveur de l'hypothèse « régressive » : parce qu'il est circulaire, cet ADN est plus stable en milieu chaud que l'ADN linéaire des eucaryotes. En outre, les plus anciens groupes procaryotes semblent être thermophiles. Archées et eubactéries auraient ensuite recolonisé des milieux moins chauds, conservant toutefois la simplicité structurale et la courte durée de vie imprimées par ce « coup de chaud ». Notons toutefois que les fossiles biochimiques n'appuient pas cette hypothèse. Les dérivés des stéroïdes, caractéristiques des eucaryotes, remontent à 2,7 milliards d'années, tandis que les traces des membranes cellulaires de procaryotes (des molécules telles que les hopanes eubactériens et les tétraéther- glycérol des archées) sont plus anciennes d'au moins 1 milliard d'années. Cependant, en paléontologie comme ailleurs, une absence de preuve n'est pas une preuve d'absence ! Sans compter que le modèle proposé par Patrick Forterre ne prétend pas que l'ancêtre tant recherché était exactement un eucaryote (ceux-ci ont évolués depuis), mais seulement qu'il avait un génome semblable.

Toutes les interprétations précédentes expliquent la coexistence de traits eubactériens et archéens chez les eucaryotes, sans qu'aucun élément ne permette de trancher entre elles. En 2002, une équipe d'Harvard , mettant à profit les génomes entièrement séquencés ces derniers temps, s'est quant à elle intéressée aux gènes caractéristiques des eucaryotes [14]. Hyman Hartman et Alexei Fedorov ont étudié 5 génomes eucaryotes, par différence avec les 44 génomes procaryotes disponibles. Ils ont mis en évidence 347 gènes propres aux eucaryotes. Les protéines correspondantes interviennent dans le squelette cellulaire (cytosquelette), les échanges entre le noyau et le cytoplasme, l'endocytose*, etc., bref des traits cytologiques typiquement eucaryotes. Les auteurs, sans nier la contribution d'archées et d'eubacté- ries à la cellule ancestrale, pensent qu'une autre lignée, les chronocytes, a pu apporter ces gènes particuliers à la cellule ancestrale. Mais ces chronocytes, dotés d'un cytosquelette et capables d'endocytose, ont, en tout état de cause, disparu. Cela rappelle une spéculation audacieuse qui avait été proposée en 2001 [15] : le noyau serait un ancien virus à enveloppe qui aurait incorporé les gènes du procaryote dont il colonisait le cytoplasme. Un tel virus pourrait expliquer certaines des particularités eucaryotes : sa capacité à fusionner avec les membranes des cellules-cibles lors de l'infection aurait permis l'apparition de l'endocytose, et les chromosomes linéaires eucaryotes pourraient dériver de l'organisation propre du génome viral.

Toutes les spéculations semblent autorisées, ou presque. Mais ont-elles seulement lieu d'être ? En 2002, Carl Woese a finalement proposé de remettre en cause la notion même de cellule ancestrale [16] ! Il imagine un monde originel où de fréquents échanges génétiques se seraient produits entre des cellules sans génome fixé (des protocellules). Les lignées cellulaires actuelles se seraient progressivement et indépendamment individualisées à partir de ces protocellules, et auraient cessé d'échanger fréquemment des gènes. Cette « cristallisation génétique » aurait été rendue nécessaire par la complexification cellulaire, qui impose des coopérations et une coévolution accrues entre les gènes d'une même cellule : l'arrivée trop fréquente de nouveaux gènes aurait risqué de déstabiliser un tel système. À en croire ce modèle, le panachage actuel du génome des eucaryotes refléterait seulement un tirage au sort parmi les gènes échangés à cette époque reculée. Dès lors, que penser ? La validation des spéculations avancées bute, le plus souvent, sur notre mauvaise connaissance de la diversité du monde microbien actuel et fossile. Considérant l'essor de l'analyse comparée des génomes entiers et le renouveau des techniques d'observation du monde microbien actuel et fossile, on peut toutefois espérer éliminer ou valider certaines hypothèses... d'ici quelques années. M.-A. S. En deux mots Comment se fait-il que le génome de « notre » cellule, la cellule eucaryote, comporte des gènes typiques d'archéobactéries, et d'autres typiques d'eubactéries ? Fusion entre bactéries symbiotiques, ingestion de bactéries « proies » par des bactéries « prédatrices », transferts de gènes au cours de brefs contacts : aucune hypothèse n'est exclue. Inversement, certains suggèrent qu'eubactéries et archées seraient les descendants simplifiés des eucaryotes. La dernière hypothèse en date réconcilierait ces points de vue apparemment incompatibles : les trois grandes lignées du vivant se seraient progressivement et indépendamment individualisées à partir de protocellules qui échangeaient très fréquemment des gènes.


Marc-André Selosse

* Endocytose : processus d'absorption d'un corps étranger par la cellule, via la formation de vésicules.

* Glycolyse : série de réactions chimiques par lesquelles une cellule récupère de l'énergie en dégradant du glucose.


* Milieu anaérobie : milieu dépourvu d'oxygène.



[1] C.R. Woese et G.E. Fox, PNAS, 74, 5088, 1977.
[2] G.B. Golding et R.S. Gupta, Mol. Biol. Evol., 12, 1, 1995.
[3] W. Zillig, Curr. Op. Genet. Dev., 1, 544, 1991.
[4] D. Moreira et P. López-García, J. Mol. Evol., 47, 517, 1998.
[5] W. Martin et M. Müller, Nature, 392, 37, 1998.

[6] W.F. Doolittle, Trends in Genetics, 14, 307, 1998.
[7] J.G. Lawrence et H. Ochman, PNAS, 74, 9413, 1998.
[8] N. Caplet, « Bac to basics : les bactéries », La Recherche, décembre 2000.
[9] H. Ochman et al., Nature, 405, 299, 2000.
[10] R. Jain et al., PNAS, 96, 3801, 1999.
[11] H. Philippe et P. Forterre, J. Mol. Evol., 49, 509, 1999.
[12] P. Forterre, C. R. Acad. Sci. Paris III, 324, 1067, 1999.
[13] P. Forterre, « Les hyperthermophiles sont-ils nos ancêtres ? », La Recherche, février 1999.
[14] H. Hartman et A. Fedorov, PNAS, 99, 1420, 2002.
[15] P.J. Bell, J. Mol. Evol., 53, 251, 2002.
[16] C.R. Woese, PNAS, 99, 8742, 2002.

POUR EN SAVOIR PLUS M.-A. Selosse, La Symbiose : structures et fonctions, rôle écologique et évolutif, Vuibert, 2000.

G. Lecointre et H. Le Guyader, Classification phylogénétique du vivant, Belin, 2001.

L. Margulis et D. Sagan, L'Univers bactériel, Points/Sciences, Le Seuil, 2002 (réédition).

L. Margulis et D. Sagan, « L'origine des cellules eucaryotes », La Recherche, numéro spécial, mai 2000.

encadrés :

Coopération

Usines à méthane LES BACTÉRIES S'ASSOCIENT PARFOIS EN SYMBIOSE pour utiliser des substrats qu'elles ne peuvent consommer séparément : on parle alors de syntrophisme. C'est le cas des archées productrices de méthane. Dans les milieux anaérobies*, ces archées s'associent à des eubactéries fermentaires qui leur procurent l'hydrogène dont elles ont besoin, à partir de la dégradation de molécules énergétiques comme le glucose. Cette consommation de l'hydrogène eubactérien par les archées permet la survie des eubactéries, dont le métabolisme est inhibé par une trop forte concentration d'hydrogène dans leur milieu. De telles associations syntrophes sont la sour- ce de tout le méthane qui existe sur le Globe. Elles sont présentes dans les sols submergés des rizières ou de certaines plaines alluviales, le tube digestif des animaux, etc. Elles peuplent aussi les sédiments profonds, où elles sont à l'origine du méthane exploité dans les gisements de gaz naturel.

Mécanisme de fusion

COMMENT EXPLIQUER LE MÉLANGE DE GèNES ARCHÉENS ET EUBACTÉRIENS au sein du génome eucaryote ? Deux mécanismes de fusion ont été proposés. Selon le scénario de William Martin et Miklos Müller (à gauche), le génome archéen aurait intégré certains gènes de l'eubactérie. Ce génome mixte aurait ensuite été enfermé dans un noyau né de modifications morphologiques de l'archée, tandis que l'eubactérie aurait évolué en mitochondrie (l'organite dans lequel s'effectue la respiration cellulaire). Les chercheurs français David Moreira et Purificacion Lopez-Garcia suggèrent, quant à eux, que l'eubactérie de l'association aurait transféré la totalité de ses gènes à l'archée associée, tout en l'encerclant (à droite). Le cytoplasme de l'eubactérie serait devenu celui de la cellule eucaryote, tandis que l'archée en devenait peu à peu le noyau. Les mitochondries, elles, seraient apparues ultérieurement au cours de l'évolution.

Sénario de prédation

Imaginons une Archée prédatrice ancestrale se nourrissant par absorption d'eubactéries. Lors de la digestion de ces dernières, des portions de leur génome auraient pu s'intégrer dans celui de l'archée. D'où, au final, un génome mi-archéen, mi-eubactérien, dans une cellule qui aurait ensuite évolué en cellule eucaryote.

Filiation des bactéries dans les cellules

TOUS LES EUCARYOTES ACTUELS ONT, OU ONT EU, DES MITOCHONDRIES, ces petits organites qui permettent la respiration cellulaire. Proches de bactéries actuelles telles que les bactéries pourpres et certaines bactéries parasites (les Wolbachia par exemple), les mitochondries dérivent d'eubactéries. Outre leur importance dans l'instauration de la respiration cellulaire, les mitochondries ont, au cours de l'évolution, joué un second rôle majeur : des gènes issus du génome mitochondrial ont été incorporés dans le génome du noyau cellulaire [1]. Ces gènes ont été mis à profit par la cellule eucaryote, où certains assument une fonction capitale. Ainsi, la plupart des gènes codant les enzymes de la glycolyse* proviendraient de la mitochondrie. De nombreux eucaryotes anaérobies actuels, qui n'ont pas de mitochondries, en ont possédé par le passé, comme en témoigne leur noyau, dont le génome contient des gènes d'origine mitochondriale.
Certaines lignées d'eucaryotes sont, quant à elles, devenues capables de réaliser la photosynthèse en englobant des bactéries photosynthétiques [2]. Ces dernières ont formé les chloroplastes qui, eux aussi, ont transmis de nombreux gènes au noyau : chez une plante comme l'Arabette des Dames, Arabidopsis thaliana, entre 400 et 2 200 gènes nucléaires (1,2% à 9,2% du génome) proviendraient du chloroplaste [3]. Beaucoup de ces gènes codent des protéines fonctionnant dans le chloroplaste, mais d'autres, et pas des moindres, codent des protéines fonctionnant ailleurs dans la cellule. C'est par exemple le cas des enzymes végétales synthétisant la cellulose.
[1] M.A. Selosse et al., Trends in Ecol. Evol., 16, 135, 2001.
[2] M.-A. Selosse et S. Loiseaux De Goer, « La saga de l'endosymbiose », La Recherche, mars 1997.
[3] T. Rujan et W. Martin, Trends in Genetics, 17, 113, 2001.

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