01/01/2004 La Recherche
Yves Chupeau, Pierre-Henri
Gouyon - Les OGM, graines de réflexion
Les OGM n'ont jamais déchaîné tant
d'opposition qu'en 2003. Paradoxe : ne soulèvent-ils pas des problèmes liés aux
pratiques agricoles qui auraient dû être abordés il y a des années ?
LA RECHERCHE : En 1999, le gouvernement britannique a lancé une
vaste étude de terrain pour évaluer l'impact de plantes transgéniques résistant
à un herbicide sur la flore et la microfaune des champs ainsi cultivés. Les résultats,
très attendus, ont été présentés le 16 octobre 2003. Colza et betterave « mauvais
» pour la biodiversité, et maïs « bon », en a conclu la presse. Mais les OGM sont-ils
vraiment le coeur du problème ?
YVES CHUPEAU : En fait, cette interrogation sur les conséquences de l'utilisation
de plantes transgéniques conduit, bien plus largement, à s'interroger sur des
pratiques agricoles en particulier l'utilisation des herbicides qui
n'avaient pas été suffisamment étudiées jusque-là. L'étude britannique repose
sur la comparaison entre des cultures conventionnelles, traitées avec des herbicides
plus ou moins spécifiques des mauvaises herbes visées, et des cultures d'OGM,
traitées avec un herbicide total. Si l'on considère la betterave (et c'est un
bon exemple), le désherbage conventionnel n'est pas très efficace. Certes, les
herbicides utilisés détruisent les mauvaises herbes, mais ils sont aussi toxiques
pour la betterave elle-même, ce qui ralentit sa pousse. En revanche, l'herbicide
total utilisé sur les betteraves transgéniques résistantes à ce même herbicide
permet un désherbage beaucoup plus efficace. D'où, évidemment, une diminution
de la biodiversité dans le champ « transgénique » par rapport au champ « conventionnel
».
PIERRE-HENRI GOUYON : Nous n'allons pas toujours être d'accord, Yves Chupeau et
moi, mais là, nous le sommes ! À travers les OGM se posent des questions très
générales sur la gestion de l'environnement par l'agriculture. Cela fait partie
des choses qu'on aurait dû et pu faire sans les OGM, sauf que... il se trouve
que les OGM ont permis de se poser la question mieux qu'on ne l'a fait jusque-là.
LA RECHERCHE : Pour vous, le problème essentiel provient de la gestion
ou de l'absence de gestion des pratiques agricoles...
YVES CHUPEAU : À propos de cette étude anglaise, tout le monde reprend le fait
que le couple « maïs-Liberty* » semble moins nocif pour la biodiversité que le
couple « colza-Liberty » ou « betterave-Round-Up* ». Ce n'est pas que le Liberty
soit moins efficace dans un champ de maïs qu'ailleurs. C'est que l'herbicide conventionnel
utilisé sur le maïs, l'atrazine, a un effet très fort. En comparaison, le Liberty
apparaît peu nocif. Cela fait cinquante ans qu'on aurait dû se poser la question
sur le couple « maïs-atrazine » ou sur les triazines* en général ! On a abondamment
utilisé ces herbicides sans se poser de questions parce qu'ils sont très efficaces
et peu coûteux. Puis on a fini par se rendre compte que ce sont des produits très
stables qui s'accumulent là où on les utilise. Par ailleurs, ils sont devenus
inefficaces parce que leur utilisation répétée pendant cinquante ans a sélectionné
des résistants dans toutes les familles botaniques, dont des plantes envahissantes.
Ce faisant, on a ruiné leur utilisation. L'atrazine est aujourd'hui interdite,
alors qu'elle constituait un herbicide utile et qu'une réactivité plus rapide
sur les conditions de son utilisation aurait sans doute permis de la préserver
pour les cas difficiles. Je trouve que son histoire est révélatrice : oui, il
y a un manque de transparence sur les pratiques agricoles et leurs conséquences,
et une absence de gestion véritable de ces pratiques.
PIERRE-HENRi GOUYON : D'une certaine façon, c'est là le point essentiel. L'agrochimie
imprime sa marque sur notre environnement de façon incontrôlée depuis au moins
cinquante ans. On peut se réjouir ou regretter que ce soit à propos des OGM que
l'on se demande comment gérer l'utilisation des herbicides, mais je suis content
qu'on le fasse enfin d'autant que ce sont ces mêmes entreprises d'agrochimie
qui développent les OGM. Le problème est que, d'un point de vue réglementaire,
on ne dispose d'aucun outil de gestion des pratiques agricoles. En France, la
Commission du génie biomoléculaire (CGB) peut autoriser ou refuser, elle
l'a déjà souvent fait des plantes transgéniques résistant à un herbicide,
mais ce n'est pas elle qui va autoriser l'utilisation des herbicides sur la plante
en question. Cela, c'est du ressort de la Commission des toxiques, que les questions
de durabilité n'ont pas vraiment préoccupée jusque-là !
LA RECHERCHE : Le gouvernement français a-t-il, à l'instar du gouvernement
britannique, lancé des études d'impact ?
PIERRE-HENRI GOUYON : Non, il a mis un peu d'argent dans les programmes qui étudiaient
ce sujet, mais sans plus. Je le lui reproche avec vigueur : je lui reproche d'avoir
monté un très gros programme de génétique végétale, Génoplante, en omettant sciemment
de réserver ne serait-ce qu'une infime partie de cet argent pour les études d'impact
potentiel des OGM dans l'environnement. Vu les sommes dont il s'agissait, ça aurait
fait beaucoup ! Pour se dédouaner, il a versé, une année, environ 1,5 million
d'euros dans ces programmes. Puis il s'est défaussé sur l'INRA, qui a accepté
de mettre entre 300 000 et 450 000 euros l'année suivante. Et, depuis deux ans,
c'est le CNRS qui alloue 300 000 euros tous les ans, pour l'ensemble des recherches
concernant ces impacts. On ne peut donc pas dire qu'il n'y a pas de budget du
tout en France. Mais on ne sait jamais s'il y aura de l'argent d'une année sur
l'autre. En revanche, les producteurs de colza, de maïs et de betterave se sont,
eux, associés avec l'INRA pour monter une plate-forme interinstituts (Yves Chupeau
et moi-même sommes membres de son comité scientifique). Cette plate-forme étudie
les conséquences agronomiques, au sens large (c'est-à-dire incluant des aspects
environnementaux), de la culture de plantes transgéniques dans quelques sites
expérimentaux en France. Ceux-ci sont connus, et les résultats font l'objet d'une
conférence de presse tous les ans, mais les journalistes n'y vont pas...
YVES CHUPEAU : Contrairement au programme anglais, qui portait strictement sur
la biodiversité, les plates-formes interinstituts étudient tant l'aspect désherbage
que l'aspect rotation des cultures. L'idée est de se placer quasiment dans les
conditions d'une exploitation agricole, en cultivant une année du colza, l'année
suivante de la betterave, l'année suivante du blé ou du maïs, afin de voir d'une
part ce qui se passe pour les graines restées au sol et les échanges de pollen
entre parcelles adjacentes et d'autre part l'intérêt pour les agriculteurs
et cela dans différentes régions. À ce jour, cela fait huit ans que les expériences
sont lancées. En agronomie, ce n'est pas encore tout à fait suffisant pour tirer
des conclusions, en raison des variations inhérentes aux fluctuations des conditions
climatiques, mais cela donne de bonnes indications.
PIERRE-HENRI GOUYON : Ce que cette plate-forme nous a montré, entre autres, c'est
que, pour un agriculteur, l'intérêt majeur de ces cultures d'OGM est un gain de
temps et de carburant. Par ailleurs, elle nous a aussi montré que l'on peut avoir
des dispersions de pollen à relativement grande distance.
YVES CHUPEAu : Je voudrais toutefois souligner que, pour avoir des résultats vraiment
fiables, il faudrait travailler avec des surfaces beaucoup plus importantes (50
hectares, par exemple, au lieu de 1 hectare), là encore pendant plusieurs années.
Mais la mise en place d'essais de ce type est très compliquée, car il est difficile
de parfaitement contrôler de telles surfaces. Et nous souffrons en l'occurrence
d'un grand vide dans la réglementation européenne : l'encadrement de ce type de
dispositif n'est pas du tout défini ! Les directives européennes ne prévoient
pas d'intermédiaire entre les expérimentations sur des parcelles de taille réduite
et la mise sur le marché.
YVES CHUPEAU : Précisément, et je le regrette ! Certes, ces plantes résistantes
soulèvent des questions. Et d'autres se poseront pour les résistances aux virus,
aux champignons, bref, pour tout ce qui fait interagir la plante cultivée avec
d'autres organismes. Mais la transgenèse concernera aussi l'amélioration de la
qualité des végétaux. Et quand on aura complètement décrypté les supports des
caractères adaptatifs des plantes (par exemple la résistance aux pathogènes, au
froid, au sel...), notamment à travers Génoplante, que critique Pierre-Henri Gouyon,
les OGM qui résulteront de ces avancées (ceux de deuxième génération) permettront
des pratiques agricoles beaucoup plus raisonnées. Ce qui sera vraiment novateur
! Donc, il ne faudrait pas que la réflexion reste bloquée sur la résistance aux
herbicides.
PIERRE-HENRI GOUYON : J'attends avec impatience ces OGM de deuxième génération.
Mais ce sont bel et bien des plantes résistant aux herbicides qui risquent d'être
autorisées sur le marché européen ! Si l'Europe disait : « Nous allons lever le
moratoire mais nous refuserons les colzas et les betteraves résistant aux herbicides
», la situation serait tout autre. Malheureusement, ce n'est pas ce qui se passe,
et, du coup, je ne vois pas arriver la fin de ce moratoire avec plaisir. On aurait
dû mettre à profit les quatre années écoulées pour définir des normes et instaurer
des structures de gestion. Mais il n'y a pas eu le moindre mouvement en ce sens.
Maintenant, si, en France, la CGB disait : « Tant qu'il n'y aura pas eu de système
de gestion mis en place on n'acceptera pas d'OGM résistant aux herbicides », ma
position serait très différente. Mais je n'imagine pas qu'elle ait ce courage.
Certes, ce ne sont pas ses attributions. Mais comme ce ne sont les attributions
de personne... Si elle répond uniquement aux questions qu'on lui pose, elle cautionne
de fait des choses dont elle sait très bien qu'il ne fallait pas les faire.
YVES CHUPEAU : Oui, et d'ailleurs c'est déjà lancé dans certains cas. Par exemple
en Alsace, pour une vigne modifiée pour résister au virus du court-noué. Pour
lutter contre cette maladie, l'unique moyen conventionnel est de tuer les vers
qui transmettent le virus aux plantes, en utilisant des produits chimiques très
toxiques. Il y a dix ans, Moët- Hennessy et l'INRA s'étaient associés pour essayer
de fabriquer des vignes transgéniques résistantes. Mais Moët a décidé de tout
arracher, et, dans la foulée, l'INRA aussi. Toutefois, considérant l'absence de
moyens valables de lutte contre ce virus, l'INRA a ensuite décidé de reprendre
les essais. Avant de le faire, il a mis en place un dispositif assez exemplaire,
qui était ce qu'on aurait dû faire dès le départ : une concertation qui associait
les chercheurs, les professionnels de la vigne et du vin de la région (des agriculteurs
jusqu'aux commerçants), des représentants d'un certain nombre de syndicats, dont
la Confédération paysanne, et d'associations. Et c'est reparti.
PIERRE-HENRI GOUYON : Je suis sûr qu'une majorité de gens de la Confédération
paysanne est d'accord pour dire que la vigne résistante au court-noué est une
bonne idée. Le problème, c'est qu'en l'acceptant sans contrepartie (puisque ce
n'est qu'une concertation) ils se font avoir. Il est trop facile de leur présenter
des plantes indubitablement intéressantes et sans danger (seuls les porte-greffes
sont transgéniques) pour les obliger à dire oui. Après, c'est la porte ouverte
à tout. Et c'est pour cela que, dans le cas de la vigne, après avoir accepté,
ils se sont finalement rétractés sans que cela remette en cause la reprise
des essais. Je trouve incroyable qu'on n'ait pas encore, sur les OGM, mis en place
de négociation générale digne de ce nom entre tous les protagonistes (État, chercheurs,
agriculteurs, commerçants, opposants, etc.). Une négociation dont l'objectif serait
d'aboutir à un accord décrivant point par point les choses à accepter, les choses
sur lesquelles on a besoin de compléments d'information pour avancer et les choses
à refuser. Par exemple, récuser l'introduction d'un gène de résistance à un herbicide
dans une plante qui s'hybride naturellement avec une mauvaise herbe ou une plante
naturellement invasive, comme le colza. À mon avis, ce serait un bon moyen de
sortir de l'impasse où nous sommes car nous sommes dans une impasse.
PIERRE-HENRI GOUYON : C'est un vrai problème. L'agriculteur qui cultive un colza
Monsanto signe un contrat par lequel il s'engage à ne pas recultiver ni cette
plante, ni ses descendants, ni même ses repousses spontanées. Or, des études françaises
et anglaises ont, en parallèle, montré qu'une fois que vous avez cultivé du colza
il en repousse pendant au moins quinze ans. Quant aux betteraves, c'est de l'ordre
de cent ans ! Donc, une fois que vous avez cultivé un champ avec de telles plantes,
il appartient à Monsanto pour plusieurs dizaines d'années. Dans les débats sur
les OGM, j'entends souvent dire qu'il est scandaleux de pouvoir s'approprier le
vivant. C'est complètement idiot ! Bien sûr qu'on peut être propriétaire d'un
être vivant. La question n'est pas là. Elle est de savoir de quoi on est propriétaire
exactement : de l'individu et de lui seul, ou de lui et de tous ses descendants
? Là encore, il y a indétermination. L'Europe n'a pas encore complètement décidé
de la façon dont elle gérerait les brevets. Là aussi on peut être inquiet de ce
qui se passe. Donc, je suis prêt à dire tout le bien possible sur ce que l'on
pourrait faire avec la transgenèse dans le futur, mais je constate qu'on n'a toujours
pas résolu la plupart des grands problèmes juridiques et réglementaires qui se
posent aujourd'hui.
YVES CHUPEAU : Quant à moi, je pense depuis longtemps que ce système des brevets
appliqué à l'amélioration des plantes est, à terme, ingérable. Dans un premier
temps, les brevets ont permis aux firmes concernées de se positionner sur le marché
financier et de recueillir des capitaux. Mais je pense qu'elles doivent être en
train de réviser complètement leurs conceptions. Conférer une résistance à un
herbicide est techniquement simple, et l'OGM obtenu peut être rapidement rentable
car la protéine exprimée n'interfère pas avec l'ensemble des régulations de la
plante. Mais ce ne sera pas le cas pour les OGM de deuxième génération. Car, en
modifiant une voie métabolique, celle qui nous intéresse, il y a toutes les chances
pour que l'on en modifie d'autres. C'est d'ailleurs une des raisons pour lesquelles
ces plantes de deuxième génération ne sont pas encore disponibles : nous sommes
en train d'étudier toutes ces régulations. Il faudra des années d'études et de
vérifications... Les produits finis n'apparaîtront pas avant dix ou quinze ans.
Puis l'expérimentation et la validation agronomique prendront encore quelques
années. La période de validité du brevet, qui est de vingt ans, sera donc déjà
dépassée quand le produit arrivera sur le marché.
PIERRE-HENRI GOUYON : Les OGM de deuxième génération n'intéresseront donc pas
le privé, ou très peu. Les entreprises se désengageront progressivement de ce
genre de choses, et il faudra s'appuyer à nouveau sur la recherche publique pour
faire des progrès dans ce domaine. Donc, comme je le disais, le problème des OGM,
à l'heure actuelle, c'est bien celui de la résistance aux herbicides !
YVES CHUPEAU : Avec le blé comme avec le colza d'ailleurs , on perd
beaucoup de graines à la récolte : le semis naturel qui en résulte est plus dense
que le semis des cultures d'origine ! À supposer que le blé résistant au glyphosate*
soit adopté, il deviendrait alors impossible d'utiliser cet herbicide pour nettoyer
les parcelles. On aura ruiné le glyphosate au demeurant un excellent désherbant
comme on a ruiné les triazines. Les producteurs ont tiré les leçons de leur
expérience avec les maïs et les sojas résistant au glyphosate. Là où le maïs est
cultivé en rotation avec le soja, il est devenu la mauvaise herbe de ce dernier,
car le nettoyage des parcelles avant ensemencement du soja est devenu impossible
! Utiliser du blé résistant au glyphosate poserait un problème analogue, mais
sur des territoires absolument gigantesques dans le monde entier. C'est pour cela
que, même aux États-Unis, les producteurs disent halte.
PIERRE-HENRI GOUYON : Et encore la situation est-elle plus facile à gérer là-bas
qu'ici, parce que ce sont de grosses exploitations avec un assolement très simple.
En Europe, un agriculteur a plus de voisins, et ce qu'il fait a beaucoup plus
d'impact sur leurs champs qu'aux États-Unis.
YVES CHUPEAU : Imaginez qu'on fabrique un colza super-nutritionnel. Contrairement
à un colza résistant à un herbicide, il a toutes les chances d'être largement
accepté car il apporte un plus au consommateur. Donc, le problème de la coexistence
ne se poserait même plus.
PIERRE-HENRI GOUYON : Mais tant que l'on n'en est pas arrivé là, la coexistence
de filières OGM et non OGM est quasi impossible, sauf à créer de grandes zones
de production dans lesquelles les OGM seraient interdits. Cela faisait d'ailleurs
partie des conclusions importantes qu'avait indiquées Bernard Chevassus-au-Louis
en 2001, dans le rapport du Commissariat au plan : pratiquer, en quelque sorte,
la technique des zones d'Appellation d'origine contrôlée (AOC). La coexistence
serait alors possible à l'échelle nationale, à défaut d'être possible à celle
de la commune.
YVES CHUPEAU : De toute façon, ce ne serait qu'un épiphénomène. Pour l'instant,
on raisonne toujours sur les OGM résistant aux herbicides. Une fois que l'on sera
sorti de cette problématique, ou bien les autres OGM seront refusés et personne
n'en cultivera, ou bien ils seront acceptés et tout le monde en utilisera.
PIERRE-HENRI GOUYON : Je le trouve stupide. Depuis le début, on n'arrête pas de
nous dire, à raison, que les OGM doivent être examinés au cas par cas. Alors,
je ne comprends pas qu'un même chiffre soit donné comme ça, quels que soient la
plante et le gène : 1 % de tomate transgénique qui ne pourrit pas dans des tomates
« normales », ça ne regarde au fond que le consommateur ; mais 0,4 % de colza
résistant à un herbicide, c'est un autre problème ! Car cela veut dire 0,4 % de
75 000 graines au mètre carré dont 10 % sont perdues à la récolte, soit largement
assez pour ensemencer le champ et bon nombre de champs voisins. De plus, le vrai
critère, c'est 0,9 % d'OGM dont 0,5 % d'OGM non autorisés en Europe. Cela veut
dire d'une part qu'on ne sait rien sur ces 0,5 % et d'autre part que, pour pouvoir
effectuer des contrôles, il faut que l'on connaisse toutes les séquences d'ADN
(les amorces) qui permettent de tester la présence des transgènes avant même que
les OGM soient soumis à autorisation. De ce point de vue, il est clair que le
texte européen est inapplicable. Je le pense sincèrement. Donc, en demandant simplement
qu'il soit appliqué, on le bloque. Et c'est ce que nous avons décidé de faire
au CRII-GEN, en disant à l'État français que nous attendions avec impatience de
voir, dans les textes d'application, la façon dont il nous fournirait les amorces
de tous les OGM non autorisés.
YVES CHUPEAU : Pierre-Henri Gouyon vient de parler des amorces. Mais il y a aussi
un problème de normalisation. Si l'on veut effectivement appliquer le même taux
à Strasbourg et à Milan, il faut que l'échantillonnage, l'extraction de l'ADN,
la PCR, etc. soient faits strictement dans les mêmes conditions. C'est cette normalisation
que l'on cherche à élaborer dans les laboratoires du réseau ENGL*. Mais il faut
la mettre en place dans les laboratoires des douanes, de la police ou dans les
laboraoire privés qui arrivent sur le marché puisqu'il va y avoir un marché.
Ce n'est pas évident. Cela étant, je trouve que ce problème technique est un faux
problème. Encore une fois, on raisonne en étant complètement bloqué sur les OGM
résistant aux herbicides. Mais imaginez j'en reviens à mon exemple fétiche
qu'on fabrique un colza dont l'huile soit encore meilleure d'un point de
vue nutritionnel qu'elle ne l'est déjà. À ce moment-là, la problématique sera
complètement renversée : plutôt que de prouver qu'il n'y a pas d'OGM, on cherchera
à prouver qu'il y en a !
PIERRE-HENRI GOUYON : N'empêche que, dans l'état actuel des choses, ce chiffre
de 0,5 % est délirant.
YVES CHUPEAU : Oui, c'est pourtant le résultat d'une négociation...
PIERRE-HENRI GOUYON : Je le sais bien. Au vu du résultat, c'est une mauvaise négociation
! L'une des conséquences possibles serait que tout soit étiqueté « peut contenir
des OGM ». Un peu comme on met quasi systématiquement « peut contenir des résidus
d'arachide ». Ce serait se moquer de tout le monde.
YVES CHUPEAU : Avec les OGM, c'est finalement toujours la même chose. On s'intéresse
enfin à des problèmes sur lesquels on aurait dû se pencher plus tôt. On découvre
la traçabilité. Mais ce sont des dispositifs qu'on aurait dû mettre en place depuis
longtemps ! Que l'on trouve des traces d'arachide dans les farines de blé ou dans
n'importe quoi, c'est un gros problème pour les gens allergiques à l'arachide.
Si je voulais pousser le raisonnement à l'extrême, je dirais que les OGM nous
font faire des progrès par les notions de biovigilance qu'ils nous imposent. Et
les mises au point techniques effectuées dans le cadre des OGM pour élaborer des
processus de dosage serviront probablement à bien autre chose, en particulier
à la traçabilité des allergènes qui proviennent des plantes naturelles !
Propos recueillis par Cécile Klingler
Photos : Valérie Dayan
Yves Chupeau, Pierre-Henri Gouyon
Site OGM du ministère français de l'Agriculture
www.ogm.gouv.fr
Rapport « OGM et agriculture : options pour l'action publique »
www.ladocumentationfrancaise.fr/BRP /014000692/0000.pdf
Les dernières nouvelles en matière d'OGM
www.agrisalon.com /07dossiers/ogm.php
Sur l'essai de vigne transgénique à Colmar www.inra.fr /genomique/rapport-final-ogm-vigne.html
Étude de terrain britannique
www.defra.gov.uk /environment/gm /fse/index.htm
La recherche européenne sur les OGM
http://europa.eu.int /comm/research /quality-of-life/gmo
Yves Chupeau,
agronome de formation, s'est spécialisé en biologie végétale. Président du centre
INRA de Versailles-Grignon, il est membre de la Commission du génie biomoléculaire
(CGB)* et du Comité de biovigilance*.
Yves.Chupeau@versailles.inra.fr ;
Pierre-Henri Gouyon
est agronome de formation. Professeur à l'université Paris-Sud, il dirige le
laboratoire « écologie, systématique et évolution » du CNRS. Il est membre du
Comité de biovigilance*, et du conseil scientifique du CRII-GEN*.
pierre-henri.gouyon@ese.u-psud.fr
* La CGB (Commission
du génie biomoléculaire)
est composée d'experts scientifiques et de représentants de la société civile.
Elle a pour mission d'évaluer, avant toute autorisation et au cas par cas, les
risques liés à la dissémination d'organismes génétiquement modifiés, pour la
santé publique et l'environnement.
* Le Comité de biovigilance est composé de scientifiques, de représentants de
la société civile et de représentants des professionnels concernés. Il est chargé
de donner un avis sur les protocoles de suivi de l'apparition
éventuelle d'événements
indésirables et d'alerter
les ministres de l'Agriculture et de l'environnement.
* CRII-GEN est l'acronyme du Comité de recherche et d'information indépendantes
sur le génie génétique :
www.crii-gen.org.
* Le Round-Up est le désherbant total commercialisé par Monsanto.
* Le Liberty est le désherbant total commercialisé par Aventis, et dont
le principe actif
est le glufosinate.
* Les triazines sont des herbicides que l'on peut utiliser sur le maïs parce
que ce dernier a naturellement (si l'on peut opposer cela à transgénique) une
activité de détoxication très efficace de ces composés.
* Le glyphosate est le principe actif du Round-Up.
* L'ENGL (European Network of GMO Laboratories) a été inauguré en décembre 2002.
Ce réseau européen de 47 laboratoires travaille à harmoniser les méthodes de
détection des OGM : http://engl.jrc.it/
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